Le titre, surréaliste, donne le ton de ce polar halluciné, unique roman noir d'un ancien journaliste américain au style lui aussi singulier, mélange de réalisme cru et de lyrisme.
Fatchakulla : un bled sinistre de l'Amérique profonde, cerné de marais grouillant d'alligators, étouffant de moiteur, glacé de superstitions. Dans ce village où se côtoient des personnages monstrueux ou pathétiques, on noie l'ennui sous des litres de bière, on élève des chats inquiétants, on se raconte des histoires à cauchemarder debout. Ambiance...
Une série de meurtres atroces achève de chavirer les esprits, déjà en petite forme. Première pièce du puzzle sanglant : une tête sur laquelle butte un gamin pêcheur en mal d'asticots. Arlie Beemis, shérif transpirant et râleur, ne sait pas ce qu'il déteste le plus : son métier ou sa femme. Mais ce qu'il sait, c'est qu'il a besoin d'aide. Entre alors en scène le détective Linwood, un gars solitaire et positivement déjanté. "De l'avis général, c'était un génie, une anomalie dans le marécage génétique de Fatchakulla".
De fausses pistes en rebondissements, l'enquête prend des allures sidérantes, aussi drôles qu'abominables. La chute est un tantinet décevante, mais elle a le mérite de préserver le suspens: bien malin qui en trouvera la clef avant le dénouement ! Plus que l'intrigue, on retient de ce polar son énergie satirique et sa galerie de personnages tout à fait surprenants.
Premières lignes : "Oren Jake Purvis était le plus fieffé salaud du canton de Fatchakulla. Même dans sa famille, on ne l'aimait pas, ce qui n'avait rien d'étonnant. Il avait fait interner sa pauvre mère par un juge corrompu de Platt City, parce qu'il convoitait la grande maison, les champs de haricots à rames et les étangs à grenouilles. Miss Sue Ella Purvis n'était pas vraiment folle, tout au plus un peu dérangée ; elle se livrait volontiers à des conversations polies avec les araignées qui tissaient leur toile sur la véranda ou les lézards en promenade. Cette vieille crapule d'Oren Jake l'avait quand même fait mettre au placard sans le plus petit pincement d'une conscience de toute façon inexistante."
Article écrit par Isabelle Bauer [juin 2005].
Autres articles :
"La Sagesse d'une Femme de Radio", de Kriss, L'il neuf/France Inter.
"À bonne école" de Muriel Spark, Gallimard.
"Gone, baby, gone" de Denis Lehane, Rivages/Noir.
"Léo Malet ". Nestor Burma, "l'homme qui met le mystère K.O.".
"La mort dans l’âme" de Ian Rankin, Folio policier.
"Dans les bois éternels" de Fred Vargas, ed. V. Hamy.
"Le Dahlia Noir", de James Ellroy, Rivages/Noir.
"L’affaire du Dahlia noir / Complément d'enquête", de Steve Hodel, Seuil/Points policier.